vendredi 28 décembre 2012

Ludwig Wittgenstein, Carnets (extraits)


Ludwig Wittgenstein, Carnets de Cambridge & de Skjolden, PUF, coll. « Perspectives critiques », 1999.

 
 
 
On croit souvent –et je tombe moi-même souvent dans cette erreur- qu’il est possible de mettre par écrit tout ce que l’on pense. En réalité on ne peut mettre par écrit –c’est-à-dire commettre une sottise ou une impropriété- que ce qui naît en nous sous une forme écrite. Tout le reste paraît comique & pour ainsi dire une ordure. C’est-à-dire comme quelque chose qui devait être effacé.
(p. 38, à la date du 9 mai 1930, Cambridge)


La tâche de la philosophie est d’apaiser l’esprit sur les questions insignifiantes. Celui qui n’est pas prêt à de telles questions n’a pas besoin de la philosophie.
(p. 55, à la date du 8 février 1931, Cambridge)



mercredi 19 décembre 2012

L'Extrême gauche plurielle, de P. Raynaud (2 extraits)

1er extrait, page 54.
" (…) on peut déjà être certain que de nouveaux clivages sont en formation, dans lesquels les relations entre les conservateurs, libéraux et libertaires vont connaître des mouvements assez profonds. Plus généralement, le débat autour des nouveaux thèmes radicaux traverse toute la gauche ; or, dans un pays comme la France où, sans être toujours politiquement majoritaire, la gauche est idéologiquement hégémonique, cela signifie en fait qu’il pèse sur l’ensemble de la vie politique nationale, comme le montre, par exemple, le refus général de la référence libérale, y compris à droite. On peut évidemment considérer que tout cela n’est qu’un phénomène superficiel, et que la force des choses ne manquera pas, tôt ou tard, de réduire l’influence des courants les plus radicaux dès lors que le système politique aura « récupéré » une partie de leurs revendications."

2nd extrait, p. 111.
"Dans l’interprétation aujourd’hui dominante, Mai 68 marque à la fois l’apogée d’une certaine sensibilité révolutionnaire et le début de son déclin : les étudiants rejouent la Commune de Paris ou se croient à Saint-Pétersbourg en 1905, mais, en fait, l’explosion libertaire de Mai va faire éclater les vieilles structures autoritaires qui encadraient la société française, ouvrant ainsi la voie au déclin simultané de l’Etat administratif, de l’école républicaine traditionnelle et, last but not least, d’un Parti communiste dont l’influence tenait à l’habileté avec laquelle il avait su capter une partie de l’héritage jacobin."


Philippe Raynaud, L’Extrême gauche plurielle – Entre démocratie radicale & révolution,
Ed. Autrement, coll. « CEVIPOF », Paris, 2006, 203 pages.





Un écrivain invité : Olivier Hobé.



 [J'aime beaucoup Olivier Hobé depuis des années. En réalité depuis les années L'Authenticiste où les frères Guigot, avec Le Digol, faisaient paraître de quoi extasier les lettrés du pays France.


Olivier Hobé suit, paisible, une lente montée vers le Mont Analogue si chère à certains auteurs qui ne parviendront jamais à la hauteur du chalet de la vallée.

Lui, Hobé, oui. 
Discret, il publie régulièrement de lumineuses perles littéraires, à mi-chemin entre littérature & poésie.
Il faut écouter lire les textes d'Olivier Hobé pour se l'approprier. Son dernier récit-journal, car notre écrivain ici invité est aussi diariste, est Le Journal d'un haricot qui conte les souffrances de l'enfant devant suivre de risqués soins. Il s'agit d'un livre édité aux Editions Apogée, Rennes, 2011.
Je ne doute pas que, d'ici peu, un second extrait inédit d'une prochaine publication sera présente dans les lignes de L'Atelier du Serpent Vert. - O.P.].



15.VIII.11, Kerla.

Dévoré à petites dents ciselées le « Fou de Marie » (*) de Pierre Tanguy. Je n'avais pour ainsi dire lu qu'un seul haïku de cet auteur mais ce personnage qui retourne en son chêne le plus souvent qu'il le peut et «épouse les rêves des hommes», ses mots qui viennent à ses lèvres comme des petites bêtes, ça me botte. Un fou de plus dans nos campagnes, le bien est fou, le mal est fou, la vierge : folle.

50000 jeunes de France foncent aux JMJ à Madrid, 11% très exactement de la totalité des nigauds attendus. Combien vont tomber dans le péché de chair, lors de ce festival de chants et de transes où se trémoussent des escouades de poitrines offertes à la lance, se lèvent des bataillons d'idées hautement postérieures, s’incrustent des membres gonflés à bloc par la secte ? Impossible à dire, disons qu'il y en aura bien une partie.

C'est pas très bon pour moi, je me radicalise question curée, peut-être parce que j'attends d'être enfin seul à m’absoudre. La nature mirobolante s'étend bien plus vite que les liserons qui fleurissent, ici où là, et que je ne peux arracher de moi ; en réalité ce que j’arrache est ce que j'écris là, indécrottable ver luisant des fraudes à la liberté d’écrire.

 
« Je ne sais pas si les machines à laver sont ouvertes la nuit » dit-elle ; on se tire la langue comme on écrit un poème, comme on enferme un songe ou on dilapide une soirée d'été.

S’invaginent alors un pont à la dérive, un arc de pierre sans une flèche pour étendre le linge, un rêve qui a déteint partout, des machines ouvertes, bourrées à l'eau de Javel.

Toujours hurlant dans un tambour vide à côté, je te salue, lavé de mes péchés, fripé, dégouliné,  avec ces vers de mon tonneau.



(*) Pierre Tanguy, Fou de Marie, Ed. La Part commune, 2009.



vendredi 14 décembre 2012

L'aura du (de la) philosophe, Ludwig Wittgenstein



Ludwig Wittgenstein
Premier cours à Cambridge, janvier 1930 (extrait).



« La philosophie a perdu son aura. A présent, en effet, nous possédons une méthode pour faire de la philosophie, si bien que nous pouvons parler de la compétence des philosophes. Comparez les différences qui existent entre l’alchimie et la chimie. La chimie possède une méthode et nous pouvons parler de la compétence des chimistes. Mais une fois qu’une méthode a été découverte, les possibilités d’expression de la personnalité sont réduites en conséquence. Notre époque a tendance à restreindre de telles possibilités ; c’est une chose qui caractérise les époques de déclin de la culture ou celles qui en sont dépourvues. En de telles périodes, un grand homme n’est pas nécessairement moins grand. Mais la philosophie se réduit désormais à une question de compétence et le philosophe a perdu son aura. Qu’est-ce que la philosophie ? Une recherche sur l’essence du monde ? Nous voulons qu’une ultime réponse nous soit apportée, ou bien quelque description du monde, qu’elle soit ou non vérifiable. Et nous pouvons certainement donner une telle description, en y comprenant les états psychiques, et découvrir les lois qui le gouvernent (…). Ce que nous faisons, en fait, consiste à nettoyer nos notions, à clarifier ce qui peut être dit du monde. Quant à ce qui peut en être dit, nous sommes en pleine confusion, et nous nous efforçons d’y voir clair. La philosophie est cette activité de clarification. Nous poursuivrons donc cet instinct de clarification, et laisserons de côté notre question initiale : qu’est-ce que la philosophie ? ».

[in : George E. Moore, Les cours de Wittgenstein en 1930-1933,
trad. Française de J.-P. Cometti, Philosophica I, Mauvezin, TER, 1997.]