vendredi 28 décembre 2012

Ludwig Wittgenstein, Carnets (extraits)


Ludwig Wittgenstein, Carnets de Cambridge & de Skjolden, PUF, coll. « Perspectives critiques », 1999.

 
 
 
On croit souvent –et je tombe moi-même souvent dans cette erreur- qu’il est possible de mettre par écrit tout ce que l’on pense. En réalité on ne peut mettre par écrit –c’est-à-dire commettre une sottise ou une impropriété- que ce qui naît en nous sous une forme écrite. Tout le reste paraît comique & pour ainsi dire une ordure. C’est-à-dire comme quelque chose qui devait être effacé.
(p. 38, à la date du 9 mai 1930, Cambridge)


La tâche de la philosophie est d’apaiser l’esprit sur les questions insignifiantes. Celui qui n’est pas prêt à de telles questions n’a pas besoin de la philosophie.
(p. 55, à la date du 8 février 1931, Cambridge)



mercredi 19 décembre 2012

L'Extrême gauche plurielle, de P. Raynaud (2 extraits)

1er extrait, page 54.
" (…) on peut déjà être certain que de nouveaux clivages sont en formation, dans lesquels les relations entre les conservateurs, libéraux et libertaires vont connaître des mouvements assez profonds. Plus généralement, le débat autour des nouveaux thèmes radicaux traverse toute la gauche ; or, dans un pays comme la France où, sans être toujours politiquement majoritaire, la gauche est idéologiquement hégémonique, cela signifie en fait qu’il pèse sur l’ensemble de la vie politique nationale, comme le montre, par exemple, le refus général de la référence libérale, y compris à droite. On peut évidemment considérer que tout cela n’est qu’un phénomène superficiel, et que la force des choses ne manquera pas, tôt ou tard, de réduire l’influence des courants les plus radicaux dès lors que le système politique aura « récupéré » une partie de leurs revendications."

2nd extrait, p. 111.
"Dans l’interprétation aujourd’hui dominante, Mai 68 marque à la fois l’apogée d’une certaine sensibilité révolutionnaire et le début de son déclin : les étudiants rejouent la Commune de Paris ou se croient à Saint-Pétersbourg en 1905, mais, en fait, l’explosion libertaire de Mai va faire éclater les vieilles structures autoritaires qui encadraient la société française, ouvrant ainsi la voie au déclin simultané de l’Etat administratif, de l’école républicaine traditionnelle et, last but not least, d’un Parti communiste dont l’influence tenait à l’habileté avec laquelle il avait su capter une partie de l’héritage jacobin."


Philippe Raynaud, L’Extrême gauche plurielle – Entre démocratie radicale & révolution,
Ed. Autrement, coll. « CEVIPOF », Paris, 2006, 203 pages.





Un écrivain invité : Olivier Hobé.



 [J'aime beaucoup Olivier Hobé depuis des années. En réalité depuis les années L'Authenticiste où les frères Guigot, avec Le Digol, faisaient paraître de quoi extasier les lettrés du pays France.


Olivier Hobé suit, paisible, une lente montée vers le Mont Analogue si chère à certains auteurs qui ne parviendront jamais à la hauteur du chalet de la vallée.

Lui, Hobé, oui. 
Discret, il publie régulièrement de lumineuses perles littéraires, à mi-chemin entre littérature & poésie.
Il faut écouter lire les textes d'Olivier Hobé pour se l'approprier. Son dernier récit-journal, car notre écrivain ici invité est aussi diariste, est Le Journal d'un haricot qui conte les souffrances de l'enfant devant suivre de risqués soins. Il s'agit d'un livre édité aux Editions Apogée, Rennes, 2011.
Je ne doute pas que, d'ici peu, un second extrait inédit d'une prochaine publication sera présente dans les lignes de L'Atelier du Serpent Vert. - O.P.].



15.VIII.11, Kerla.

Dévoré à petites dents ciselées le « Fou de Marie » (*) de Pierre Tanguy. Je n'avais pour ainsi dire lu qu'un seul haïku de cet auteur mais ce personnage qui retourne en son chêne le plus souvent qu'il le peut et «épouse les rêves des hommes», ses mots qui viennent à ses lèvres comme des petites bêtes, ça me botte. Un fou de plus dans nos campagnes, le bien est fou, le mal est fou, la vierge : folle.

50000 jeunes de France foncent aux JMJ à Madrid, 11% très exactement de la totalité des nigauds attendus. Combien vont tomber dans le péché de chair, lors de ce festival de chants et de transes où se trémoussent des escouades de poitrines offertes à la lance, se lèvent des bataillons d'idées hautement postérieures, s’incrustent des membres gonflés à bloc par la secte ? Impossible à dire, disons qu'il y en aura bien une partie.

C'est pas très bon pour moi, je me radicalise question curée, peut-être parce que j'attends d'être enfin seul à m’absoudre. La nature mirobolante s'étend bien plus vite que les liserons qui fleurissent, ici où là, et que je ne peux arracher de moi ; en réalité ce que j’arrache est ce que j'écris là, indécrottable ver luisant des fraudes à la liberté d’écrire.

 
« Je ne sais pas si les machines à laver sont ouvertes la nuit » dit-elle ; on se tire la langue comme on écrit un poème, comme on enferme un songe ou on dilapide une soirée d'été.

S’invaginent alors un pont à la dérive, un arc de pierre sans une flèche pour étendre le linge, un rêve qui a déteint partout, des machines ouvertes, bourrées à l'eau de Javel.

Toujours hurlant dans un tambour vide à côté, je te salue, lavé de mes péchés, fripé, dégouliné,  avec ces vers de mon tonneau.



(*) Pierre Tanguy, Fou de Marie, Ed. La Part commune, 2009.



vendredi 14 décembre 2012

L'aura du (de la) philosophe, Ludwig Wittgenstein



Ludwig Wittgenstein
Premier cours à Cambridge, janvier 1930 (extrait).



« La philosophie a perdu son aura. A présent, en effet, nous possédons une méthode pour faire de la philosophie, si bien que nous pouvons parler de la compétence des philosophes. Comparez les différences qui existent entre l’alchimie et la chimie. La chimie possède une méthode et nous pouvons parler de la compétence des chimistes. Mais une fois qu’une méthode a été découverte, les possibilités d’expression de la personnalité sont réduites en conséquence. Notre époque a tendance à restreindre de telles possibilités ; c’est une chose qui caractérise les époques de déclin de la culture ou celles qui en sont dépourvues. En de telles périodes, un grand homme n’est pas nécessairement moins grand. Mais la philosophie se réduit désormais à une question de compétence et le philosophe a perdu son aura. Qu’est-ce que la philosophie ? Une recherche sur l’essence du monde ? Nous voulons qu’une ultime réponse nous soit apportée, ou bien quelque description du monde, qu’elle soit ou non vérifiable. Et nous pouvons certainement donner une telle description, en y comprenant les états psychiques, et découvrir les lois qui le gouvernent (…). Ce que nous faisons, en fait, consiste à nettoyer nos notions, à clarifier ce qui peut être dit du monde. Quant à ce qui peut en être dit, nous sommes en pleine confusion, et nous nous efforçons d’y voir clair. La philosophie est cette activité de clarification. Nous poursuivrons donc cet instinct de clarification, et laisserons de côté notre question initiale : qu’est-ce que la philosophie ? ».

[in : George E. Moore, Les cours de Wittgenstein en 1930-1933,
trad. Française de J.-P. Cometti, Philosophica I, Mauvezin, TER, 1997.]





mardi 9 octobre 2012

Jean Carbonnier - Inflation du droit : trop de pénal

<< (...) Oui, il doit y avoir plus de droit pénal qu'en 1958, au bout du compte. Aux vieilles lunes est renvoyée la conviction de la philosophie éclairée du XIXe siècle, que l'histoire de la peine est celle de son abolition continue.
Cette inflation du droit pénal participe à l'inflation générale du droit et l'aggrave, car le droit pénal, parmi les droits, a cette singularité d'être, de vouloir être douloureux. On pourrait, il est vrai, avancer en atténuant cette remarque qu'il l'est moins depuis 1958, le criminel à tout le moins ne risquant plus sa vie à le braver. Seulement, les incriminations subsistent, innombrables. Tout ce qui n'est pas défendu est permis, certes; mais les individus d'en bas ne réussissent pas à deviner tout ce qui défendu, et c'est ce nuage noir d'où la foudre peut sortir inopinément qui fait planer l'angoisse (...) >>.

Jean CARBONNIER, in :
Droit & passion du droit sous la Ve République,
Ed. Flammarion, Paris, 1996, p. 144.
 
 
[commentaire simpliste d'Olivier Pascault :
La sagesse du doyen Carbonnier, décédé en 2003, n'est plus à démontrer.
Certes, des générations extensives d'étudiants en Licence ont connu ses Manuels de droit civil, ses apports féconds et "progressistes" en droit de la famille à compter de 1975 - qu'il me soit pardonné cette expression courante liée au progrès, dans une période de reculs généralisés de civilisation avancée -  bien plus opératifs que Mazeaud & Chabas...
Certes, le doyen Carbonnier appartenait à une génération qui voulait, dans un autre registre que Michel Villey, sortir le droit de sa faconde techniciste, aboutissant à ce que quelques jeunes talents de juristes devenus à devenir des mécanos désuets d'une technique où le QCM remplaçait la pratique d'une réflexion raisonnant dans la nuit des solitudes et atermoiements proprement humains : la peine, la sanction, l'ordre nouveau de la norme de droit.
Le doyen Carbonnier a clarifié et raisonné la perspective d'une étude juridique sérieuse de la sociologie du droit. Le professeur Villey, à la fois dans son registre intime et public, quant à lui, foisonnait vers la philosophie du droit et l'histoire du droit pour revenir à des sources plus tempérées et justes du droit.
L'inflation juridique, véritable plaie en civil, pénal et droit public, aboutit à une incompréhension généralisée du droit, de la justice. Et plus encore dans la pratique des magistrats professionnels. Le professeur Villey a averti des étudiants qui se sont coulés dans la fange de la Technè. Tant pis pour le droit contemporain... tant pis pour tout justiciable en quête de justice.
Les vertus blasphématoires d'une telle impéritie entraînerait un blame chez tout potache agité d'un lycée bien éduqué. Hic & nunc l'Etat, dans notre pays agité par une instabilité politique consubstantielle habitée de "nuages noirs", se camoufle sous les ornières de petits élus carriéristes qui ont perdu l'ordre et la maîtrise des états de la multitude. La signature des choses, comme la signature des règles, invertissent les normes pour les vider de leur substance concrète.
De cette gageur de l'instable, surgit "l'angoisse" relevée par le doyen Carbonnier.
Au grand dam de notre humanité en béance.]
 


mercredi 26 septembre 2012

Deux contes pour le Cantal : Guigot & Michelson


Pont de La Roquebrou, juillet 2011.

Plénitude dans la simplicité

Jean-Yves Guigot


La fraîcheur gagnait les hauteurs auvergnates après un après-midi caniculaire. Les belles étendues du Cantal accueillaient alors une bande de joyeux vacanciers qui, après un copieux repas où les plus belles Salers avaient offert une viande savoureuse et avec leur lait un fromage délicieux, allèrent faire une promenade digestive ponctuée d’une partie de pétanque.
La soirée avait la calme langueur qui nous pénètre par tous les pores et nous donne la vive certitude que rien ne nous sépare de cet air qui nous traverse, de ces chants d’oiseaux et de branches remuant en cadence dans l’envol du vent qui doucement souffle sur Siran.
La partie de pétanque se déroula tard après la nuit tombée, les joueurs ayant profité de l’éclairage municipal. Non loin du terrain montait la lune près d’un arbre dont dans la nuit on ne pouvait distinguer l’espèce, mais dont deux d’entre les branches semblaient soutenir l’astre et l’élever telle une offrande mystique aux regards qui sauraient en comprendre le symbole.
Gorgés de beauté et de bien-être, les joueurs repartirent avec cette joie que donne la pleine symbiose avec la nature et l’instant vécu, même le plus simple, quand on sait la voir avec un étonnement sacré…

J.-Y. G.
(nouvelle parue dans la revue L'Authenticiste, n° 11, automne 2011.)


Eglise de Siran, 2010.



 Boules de vie

Daniel Michelson


A Yannick G., que la confiance vienne…

A Siran, le jour se lève. Les heures s’égrènent sous la chaleur de cet incroyable juillet que plus d’un cantalou considère exceptionnel, l’oeil levé sur le thermomètre. Tôt le matin, les champs parfumés des blés et maïs brûlés parviennent jusqu’à nos narines.
Lire, se promener, dîner n’est rien. Ou si peu. Car survient le moment où les joues se crispent sous les sourires de nos plaisanteries. La soirée commence. Les amis s’apprêtent. Pour eux, tout réside dans le choix du soulier. Ma fille porte les deux valises renfermant les précieuses boules d’acier. C’est le signal. La main propre est un atout. Pour enrouler du poignet, chacun se frotte en conscience sa poigne préférée. Nous traversons le village, les maisons ouvertes sur un poste de télévision, une odeur de soupe, son musée de l’accordéon tout près du logis. Et puis la petite église du XVIIIème siècle où je jette mon regard sur un joli Jésus en croix, espérant que le cochonnet sera notre roi ce soir encore. Au fond d’un chemin bordé de pieds de lavande, les trois pistes de sables fins sont libres. Deux équipes de trois se forment.
Ma fille et le grand gaillard à moustache sont mes partenaires, deux sacrés partenaires que je motive. Lui, il place ; elle, elle tire. Moi, j’affine. Comme mon alter ego, Le Poète. Il joue ce soir en compagnie de son épouse, l’Eve, et la vieille tante. Elle m’énerve, celle-là. Lente comme un troupeau entier de chèvres en pente sèche, elle marque pourtant de magnifiques points. La femme du Grand est promenée par Angéla, la chienne de la famille.
La partie est lancée. Les regards tour à tour sévères et joyeux.
Et ça dure, et ça coince, et ça se relance. Chaque joueur est concentré. Nous ne percevons pas la nuit avancer.
« Ils sont forts, ce soir », me dis-je.
La pénombre menace nos scores. Ma fille tire. Elle enfonce les placements de nos adversaires. Le Grand bafouille un « j’vais pas y arriver ». Je lui réponds par une chiquenaude morale : « tu crois en moi, tu le feras ». L’Eve sourit, « O mon Père, tu lui mets la pression, c’est bien pour nous ».
Et il place, mon diablotin ! Nous reprenons l’avantage. A moi. J’hésite. Ma décision est prise, je me dirige vers le casier électrique fermé à clef. Je le crochète, mon Suisse me sert à tout.
« Que la lumière soit », s’exclame Le Poète.
Les rires vont bon train. Une fois de plus, mes gestes les amusent.
J’ai encore mes trois boules. De belles billes d’acier lourdes, anciennes et me venant de mon père. Si je suis déterminé, mes acolytes et moi, nous emporterons la partie. Ma fille m’encourage. Le Grand ne veut pas regarder.
Gagné, la pétanque sera toujours un concentré de lavande.

D.M.
(nouvelle parue dans la revue L'Authenticiste, n°11, automne 2011.)




Le Puy-Marie, juillet 2010.








Maurice Leblanc - "L'argument" (nouvelle inédite)

L'Argument
(nouvelle)

Maurice Leblanc



Tournant la tête vers l'épouse coupable, il montra sa figure blême où des larmes suivaient le triste chemin des rides et descendaient jusqu'à la moustache grise. Et il murmura :
- Pourquoi... pourquoi m'as-tu trompé ?
Elle se taisait, le regard insolent, presque fière de l'aveu cynique dont elle venait de le cingler en pleine face ?
Cette obstination dédaigneuse à ne point se défendre le mit hors de lui :
- Mais parle donc, explique-toi...
Debout devant elle, il la menaçait du poing:
- Oui, pourquoi, pourquoi sacrifier ton bonheur, le mien, l'avenir de l'enfant ? Il n'est pas mieux que moi, cet individu ! Plus jeune, certes, mais pas de distinction, une sorte d'ouvrier, une brute... En outre, tu n'as rien à me reprocher. De l'argent, tu en as, et des chevaux, des voitures, du luxe. Alors quoi ? ta chair, peu-être, les besoins de ta chair ? C'est cela ? Oh, la gueuse !...
Il l'empoigna comme pour l'écraser contre lui. Mais, sous le peignoir, il sentit le corps souple de la jeune femme, ses seins libres et lourds. Et il tressaillit de désir.
- Ainsi, c'est pour des caresses que tu t'es livrée. Que ne m'en demandais-tu ? Nous restions des semaines... Est-ce que je savais, moi ! Si tu me l'avais dit, je t'aurais contentée, aussi bien que lui, mieux que lui... Au fond, ce qu'il fait, je le fais... La joie qu'il te cause, je te la cause, il n'y a pas deux manières...
D'un coup sec, il lui enleva son corsage :
- Ta poitrine, je l'aime, je l'admire comme lui... ce baiser de mes lèvres vaut bien son baiser. Il est fort, puissant ! Et moi ? Crois-tu que mon désir n'est pas égal au sien, et que je ne puisse te posséder malgré toi, te violer ?...
Il la renversa d'une main, de l'autre, lui arracha ses vêtements. Et il bredouillait :
- S'y prend-il autrement ? Non, hein ? Pas mieux, en tout cas... la preuve... la preuve, c'est que... ah ! la gueuse... tu n'y goûtes pas plus de plaisir... avoue-le...
L'étreinte finie, il lui planta ses yeux dans ses yeux, et dit avec un accent de triomphe :
- Et puis après ?... Que fait-il de plus que moi, ce monsieur ? Que fait-il qui puisse excuser ta faute ?
Elle répondit simplement :
- Il recommence.
Il baissa la tête, vaincu.


Maurice Leblanc

(L'argument, nouvelle, IN
Maurice Leblanc - 50 inédits,
Les Editions de l'Opportun, Paris, octobre 2012, p. 49).



[commentaires Olivier Pascault :

Mercredi 26 septembre -
Véritable découverte impromptue, due à une attachée de presse sous l'emprise des blogs qu'elle observe, me voici lecteur depuis hier à réception de ces nouvelles inédites de Maurice Leblanc. Normand, et donc disciple tout à la fois de Flaubert & Maupassant, l'auteur du célébrissime personnage de la "littérature 813" - ou Polar -, j'ai dit Arsène Lupin, cet excellent lecteur des nouvelles de Maupassant, Maurice Leblanc a fait paraître dans le Gil Blas, Le Gaulois, etc., des nouvelles sensibles où femmes et individualisme sont réduits à ce qu'ils sont devenus en son temps : deux tragédies de l'évolution lente et durable du monde.
Pourquoi s'occupe-t-il ainsi d'observer, littérairement, les femmes ?
Leblanc les veut libre et indépendantes. Il les saisit, en ce sens, comme des êtres pouvant s'épanouir dans la jouissance sexuelle sans tabous ni fers. Même lignée en amour. En bref, librement. D'où sa plume acerbe, limpide et dangereuse pour décrire des femmes qui, en apparence libres, se font les prostituées de leur propre possibilité d'ascension morale.
Si cet aspect ténu peut entraîner des hauts de le coeur dans les esprits sucrés de nos années 2000, chez Leblanc, il est d'abord marqué par une critique résolue de l'individualisme. C'est qu'il perçoit l'amoralisme pervers de l'égoïsme social qui surgit en France au moment de la pénétration subreptice de la révolution industrielle.
Il y a de la joie à lire ce Maurice Leblanc trop méconnu. Et pour l'heure, pour près de 360 pages et n'en ayant lu que 120, je ne peux m'exprimer ici davantage sur ces textes. A suivre...]

Citation / Enrique Serna


"Nous sommes dans l'ère de l'imposture, chéri.
L'art est mort depuis que nous avons mis un prix dessus".

Enrique Serna, IN Amours d'occasion.

[Cornelius Castoriadis a vu plus justement
l'ère de l'insignifiance portée aux nues]



mercredi 12 septembre 2012

Paul Ricoeur et un Rembrandt

Pour Paul Ricoeur, "Aristote contemplant un buste d’Homère" de Rembrandt, << symbolise l'entreprise philosophique telle que je la comprends. Aristote, c'est le philosophe, comme on l'appelait au Moyen Âge, mais le philosophe ne commence pas de rien. Et même, il ne commence pas à partir de la philosophie, il commence à partir de la poésie. Il est tout à fait remarquable, d'ailleurs, que la poésie soit représentée par le poète, comme la philosophie est représentée par le philosophe, mais c’est le poète qui est statufié, alors que le philosophe est vivant, c'est-à-dire qu'il continue toujours d'interpréter. Le poète est en quelque sorte recueilli dans son oeuvre écrite qui est représentée par un buste (...) >>.




vendredi 17 août 2012

Leo Strauss (citation actualisée, commentée)


http://latelierduserpentvert.blogspot.fr/2011/12/citation-l-strauss.html


Critique d'Albert Camus sur la presse (extrait)


CRITIQUE DE LA NOUVELLE PRESSE
(Combat, 31 août 1944)
Albert Camus


<< (...) Lorsque nous rédigions nos journaux dans la clandestinité, c'était naturellement sans histoires et sans déclarations de principe. Mais je sais que pour tous nos camarades de tous nos journaux, c'était avec un grand espoir secret. Nous avions l'espérance que ces hommes, qui avaient couru des dangers mortels au nom de quelques idées qui leur étaient chères, sauraient donner à leur pays la presse qu'il méritait et qu'il n’avait plus. Nous savions par expérience que la presse d'avant guerre était perdue dans son principe et dans sa morale. L'appétit de l'argent et l'indifférence aux choses de la grandeur avaient opéré en même temps pour donner à la France une presse qui, à de rares exceptions près, n'avait d'autre but que de grandir la puissance de quelques-uns et d'autre effet que d'avilir la moralité de tous. Il n'a donc pas été difficile à cette presse de devenir ce qu'elle a été de 1940 à 1944, c'est-à-dire la honte de ce pays.
 

(...) Notre désir, d'autant plus profond qu'il était souvent muet, était de libérer les journaux de l'argent et de leur donner un ton et une vérité qui mettent le public à la hauteur de ce qu'il y a de meilleur en lui. Nous pensions alors qu'un pays vaut souvent ce que vaut la presse. Et s'il est vrai que les journaux sont la voix d'une nation, nous étions décidés, à notre place et pour notre faible part, à élever ce pays en élevant son langage. À tort ou à raison, c'est pour cela que beaucoup d'entre nous sont morts dans d'inimaginables conditions et que d'autres souffrent la solitude et les menaces de la prison. >>

Albert Camus, extrait IN :

Actuelles I - Ecrits politiques, Gallimard, 1950.

mercredi 15 août 2012

"Pensée" / "Thought", Gregory Corso

THOUGHT

Death is but is not lasting.
To pass a dead bird,
The notice of it is,
Yet walking on
Is gone.
The thought remains
And thought is all I know of death.



PENSEE

La mort est, mais ne dure pas.
Passer près d'un oiseau mort,
En être conscient,
L'ayant dépassé,
Ne plus l'être.
La pensée demeure
Et la pensée est tout ce que je sais de la mort.

samedi 11 août 2012

"N'est pas de droite qui l'on pensait" - Dominique de Roux (1968) & commentaire OP

"N’est pas de droite qui l’on pensait"

Dominique de Roux

(texte intégral paru IN : L’Ouverture de la chasse, Ed. L’Age d’Homme,
coll. « La Merveilleuse collection », Lausanne, juillet 1968).




Dominique de Roux & Savimbi
            L’idée que la séparation entre la droite et la gauche ne serait qu’une vue de l’esprit est, elle-même, une idée de droite. De Drumond à Drieu de la Rochelle, la droite nationaliste française s’est battue avec acharnement pour liquider cet antagonisme, crevasse dans l’édifice limpide de la nation totale, de l’Etat total. Du point de vue de la nation, Robespierre et Brasillach se trouvent du même côté de la barricade, Hitler et Staline deviennent les deux pôles d’un même mouvement historique.

            La gauche, elle, ne s’est jamais définie par rapport à elle-même, mais, dialectiquement, contre sa droite la plus proche : la Chine Rouge de Mao en est venue à taxer l’URSS, « patrie du prolétariat mondial », tout simplement de puissance fascisto-impérialiste, et les extrémistes des maquis latino-américains crachent avec une délectation morose, sur leur droite à eux, au visage impassible des responsables en place des grandes centrales chinoises d’agitation et de propagande, qui, à leur avis — et peut-être en savent-ils quelque chose — seraient en train de trahir le front de la Révolution Mondiale dans le « Continent du Che ».

            En réalité, toute définition majeure de l’antagonisme, ou de la différence entre ce qui, dans l’histoire, dans la société, serait de droite ou de gauche, semble parfaitement impossible d’un point de vue historique ou social. Culte démentiel du chef solaire, charismatique, antisémitisme enragé, exaltation de la nation en tant que terre, en tant que mystère du sang versé, impérialisme permanent et total, toute-puissance du parti unique, de la sécurité de l’Etat et des Forces Armées, répression bestiale des atteintes à l’unité monolithique de la pensée du chef unique et de son parti, idéologie qu’il faille suivre, comprendre, imposer mystiquement et oecuméniquement : cette définition politique du stalinisme et de l’Union Soviétique de « l’ère stalinienne », absolument identique à la définition du Troisième Reich hitlérien, et de la situation doctrinaire d’un régime à l’opposé du communisme, prouve l’inanité de toute tentative d’explication, d’approche de l’antagonisme droite / gauche en partant d’un point de vue politique. Cette impossibilité apparaît la même, aussi bien historiquement que socialement. En effet, du point de vue de sa doctrine sociale, le national-socialisme de José-Antonio Primo de Rivera, et surtout de Ledesma Ramos, se trouve être infiniment plus « à gauche » que la plateforme sociale du régime contre lequel le Mouvement National s’était levé en armes, en juillet 1936. Du point de vue de l’idée historique centrale de la droite traditionnelle, qui est l’idée gibeline de l’Empire, de la supranationalité, Briand, voire même Léon Blum se trouvent infiniment plus à droite qu’un Charles Maurras.

            Il serait cependant inconcevable que l’on puisse vouloir nier la profonde séparation de l’histoire universelle en deux courants, en deux canyons d’intelligence des choses, des hommes et de tout, et que ces deux courants irréconciliables se situent l’un à gauche et l’autre à droite de la marche même de l’histoire, ou plus exactement de cette zone d’immobilité centrale où, comme à l’intérieur d’un cyclone, tout est calme, parce que toutes les contradictions des forces en présence s’y trouvent dialectiquement annulées, comme si de rien n’était, zone centrale de l’histoire que l’on pourrait appeler du nom de l’anti-histoire comme on dit anti-cyclone.

            C’est donc du point de vue de l’anti-histoire qu’il faudrait essayer d’approcher le secret de la séparation fatale entre la gauche et la droite de l’histoire. Or, le monde étant ce qu’il est, et par rapport, précisément, à ce qu’est le monde, l’anti-histoire, c’est l’esprit et le monde de l’esprit.

            C’est ainsi que face à l’Arbre Séphirothique, figure centrale de la Kabbale Judaïque, la colonne gauche est dite Colonne de la Rigueur, et la colonne de droite, Colonne de la Clémence. Mais la même Kabbale affirme, aussi, que l’ange de la Clémence est le même que l’Ange de la Rigueur. Dans ses écrits, un Joseph de Maistre, après Louis-Claude de Saint Martin, reconnaissait dans la Révolution française, — qui, pour lui, et pour les siens, était « le mal suprême », — une épreuve occulte de la Divine Miséricorde.

            Transhistoriquement parlant — qui propose donc de situer le centre de gravité de l’histoire comme en dehors de l’histoire elle-même, dans le dépassement même de l’histoire — la gauche et la droite existent, fondamentalement, comme l’infra-structure active, comme la grande force motrice de l’histoire face à con propre avancement.

            Seraient de gauche, du point de vue de la trans-histoire et de l’esprit, ceux qui pensent que le monde est tel qu’il apparaît, qu’il n’y a pas d’« autre monde ». La droite, au contraire, ne verrait dans ce monde qu’un passage, une sorte de figure chiffrée d’un autre monde, invisible, hors d’atteinte. Mais les uns et les autres, en réalité, ne feraient que servir la cause trans-historique de ce qui, de par cette contradiction même, fait que l’histoire n’arrête jamais, ni sa marche en avant ni son devenir.

            L’espace de la droite est d’ailleurs, son temps est à jamais situé dans l’après. La gauche vit dans le présent de son intelligence du temps, son espace est, paradoxalement, le temps de la présence réelle. La séparation entre la gauche et la droite est une séparation anti-historique, elle reproduit, en elle-même et en tant que telle, la séparation entre ce monde-ci et l’autre monde. Tout le reste n’est qu’ombre, connivences, malentendu et même, à la limite, haute stratégie.

            On comprend mieux, ainsi, pour quelles raisons profondes l’œuvre d’un Louis-Ferdinand Céline avait été comprise, et comme happée en URSS, qui se trouvait encore à l’aurore de son expérience de sécularisation de la réalité du monde et de l’histoire, affamée comme elle l’était alors, d’une certaine présence réelle d’un monde enfin libéré du poids catastrophique de l’autre monde. , et maintenant est la double exigence absolue de la gauche. Là, et maintenant, tout. Du point de vue du monde, tout est donc, toujours, trop tard, tout est crépuscule.

            Tout est crépuscule ? N’est pas de gauche qui l’on pensait.

Dominique de Roux (1968).






[commentaire – Olivier Pascault]

      Dominique de Roux (1935-1977) a marqué son temps en tant qu’éditeur, revuiste et écrivain pour qui engagement signifiait action, présence dans les luttes internationales et, forcément, clandestinité. A jamais hédoniste pour lier les faux contraires, Dominique de Roux savait découvrir et donner à lire des auteurs honnis par le conformisme ambiant des années 60 et 70 où l’interrègne des coureurs de fond du gauchisme infantile aimaient, quelquefois, balafrer ceux qui, un peu trop libres à leurs rouges goûts, refusaient un temps de marcher au pas chinois ou soviétique… ou italien ou yougoslave… ou albanais ou vietnamien.
      L’Ouverture de la chasse est ainsi un précis d’essais très courts que Dominique de Roux fait paraître en juillet 1968. Immédiatement après la sauterie de Mai, Dominique de Roux observe et ricane devant ceux qui, il n’en doutait déjà pas, ont joué aux « révolutionnaires à l’Odéon » et deviendront les gouvernants dociles et un peu libertaires (libertariens de gauche, plutôt - NDA) des années ultérieures. Pour Dominique de Roux, ces fils du barnum de Mai sont à ce point de pâles figurines de plâtre devant les Insurgés de la Commune de 1871 qu’il leur refuse tout net la mention de « révolutionnaires ». D’ailleurs, de Roux ne témoigne-t-il pas d’un polisson rendu célèbre, Cohn-Bendit, piaffant devant la salle à manger de Paris Match à s’en ronger les sangs de vertu. Dans cette atmosphère printanière de « surréalisme amolli, encrassé, se sont déchirés aux fourrés des mythologies révolutionnaires » (op. cit., p. 11) des fils émeutiers pour le plaisir de l’embuscade. Mais, prévient Dominique de Roux, « on ne fait pas une révolution sur une absence d’événement » (id.). A n’en pas douter, cette imposture n’a pas eu prise sur la majorité des ouvriers — y compris les plus syndiqués et politisés —, sinon en un tour de vis à la Héraclite affirmant « que l’âme sèche est la plus sage et la meilleure », peut-être davantage pour défier le Général et rameuter au bercail les parents des indolents. Ces mêmes parents qui prirent une dimension d’homme ivre. Au sens, là encore, où Héraclite entend que « l’homme quand il est ivre se laisse conduire par un enfant : il titube sans savoir où il va, car son âme est humide ».
      « N’est pas de droite qui l’on pensait », ici reproduit in extenso par nos soins, est sincèrement vrai. La situation ne l’exige pas, elle la démontre. L’histoire n’est ni circulaire, ni cyclique. Elle se jauge dans les situations, les alliages entre les idéologies, la politique, la politique économique et la guerre, mais encore, en une vue pénétrante, dans le fil d’Ariane très souvent caché des heures essentielles où se bousculent les décisions et lois porteuses des conséquences les plus strictes. L’histoire, comme le droit qui est une pensée juridique humaine et dénaturée par le juge (nota bene : au nom du principe « judex locutus, causa finita », le droit émane de la « bouche » du juge qui prononce un « nous » qui est en réalité un « je »), se décrypte à l’aune des comportements individuels et collectifs, en observant et les groupes et l’histoire sérielle. Autant dire que l’histoire a tout à gagner, à chaque fois et dès que cela est possible par les archives, à divulguer les études prosopographiques qui enseignent plus qu’elles n’analysent. L’analyse est la partie suivante du travail de l’historien, pour ainsi dire. L’histoire est une pensée en mouvement, fondée sur les archives, les études et une attention soutenue pour le cours philosophique, spirituel, théologique, littéraire et social du moment étudié. C’est sans doute ce que ce très court et brillant essai de Dominique de Roux nous enseigne, lui qui n’a pas manqué non plus de démasquer in situ tout l’intérêt qu’en retirait la politique de Washington d’appuyer indirectement les joyeux lurons des fêtes universitaires mondiales de 67-68 afin d’asseoir sa suprématie contre la ligne indépendante, décolonisée et souveraine que Charles de Gaulle proposait au monde.
      La politique est un combat pour la vie, et « vivre, c’est combattre » (Sénèque), perdre souvent, gagner parfois. De Gaulle a sans doute perdu avant tout contre Washington, non pas à cause d’une Sorbonne bien évanescente à vouloir faire vibrer sa liberté égotique et ne cillant pas ses yeux devant le subterfuge du maniement des foules, d’abord intellectuelles puis ensuite des masses de la part une administration centrale organique commandée par des militaires. Ces militaires US qui n’ont pas digéré la lutte nationale de « l’homme du 18-Juin » qui a su chasser tous les plans de mise en coupe réglée de la France dès 1942.

OP, 11 août 2012.





vendredi 13 juillet 2012

Thérèse de Lisieux


Les nourritures spirituelles [extrait]
Thérèse de Lisieux


<< (...) Depuis longtemps je me nourrissais de « la pure farine » contenue dans l’Imitation, c’était le seul livre qui me fit du bien, car je n’avais pas encore trouvé les trésors cachés dans l’Evangile. Is 45,3 Je savais par cœur presque tous les chapitres de ma chère Imitation, ce petit livre ne me quittait jamais ; en été, je le portais dans ma poche, en hiver, dans mon manchon, aussi était-il devenu traditionnel ; chez ma Tante on s’en amusait beaucoup et l’ouvrant au hasard, on me faisait réciter le chapitre qui se trouvait devant les yeux. A quatorze ans, avec mon désir de science, le Bon Dieu trouva qu’il était nécessaire de joindre « à la pure farine » du « miel et de l’huile en abondance. » Ce miel et cette huile, il me les fit trouver dans les conférences de Monsieur l’abbé Arminjon, sur la fin du monde présent et les mystères de la vie future. Ce livre avait été prêté à Papa par mes chères carmélites, aussi contrairement à mon [47v°] habitude (car je ne lisais pas les livres de papa) je demandai à le lire.

Cette lecture fut encore une des plus grandes grâces de ma vie, je la fis à la fenêtre de ma chambre d’étude, et l’impression que j’en ressens est trop intime et trop douce pour que je puisse la rendre… Toutes les grandes vérités de la religion, les mystères de l’éternité, plongeaient mon âme dans un bonheur qui n’était pas de la terre… 1Co 2,9 Je pressentais déjà ce que Dieu réserve à ceux qui l’aiment (non pas avec l’œil de l’homme mais avec celui du cœur) et voyant que les récompenses éternelles n’avaient nulle proportion avec les légers sacrifices de la vie je voulais aimer, aimer Jésus avec passion, lui donner mille marques d’amour pendant que je le pouvais encore… Gn 15,1 Je copiai plusieurs passages sur le parfait amour et sur la réception que le Bon Dieu doit faire à ses élus au moment où Lui-même deviendra leur grande et éternelle récompense, je redisais sans cesse les paroles d’amour qui avaient embrasé mon cœur. >>


mardi 29 mai 2012

Goethe, Faust (scène du cabinet d'étude : la force du mot)

"Méphistophélès : (...) arrêtez-vous aux mots ! et vous arriverez alors par la route la plus sûre au temple de la certitude.

L'écolier : Cependant un mot doit toujours contenir une idée.

Méphistophélès : Fort bien ! mais il ne faut pas trop s'en inquiéter, car, où les idées manquent, un mot peut être substitué à propos; on peut avec des mots discuter fort convenablement, avec des mots bâtir un système (...)."


Goethe, Faust (1832, scène du cabinet d'étude, trad. de G. de Nerval).


lundi 28 mai 2012

Mutatis, mutandis, le serpent selon Nietzsche

« Le serpent qui ne peut changer de peau périt.
De même, les esprits
que l’on empêche de changer d’opinions, ils cessent d’être esprit. »

F. Nietzsche, Aurore




dimanche 29 avril 2012

ANDRE GUIGOT, DES PENSEURS POUR TOUT PEREGRIN – 1 : PROPOS LIMINAIRES.

André Guigot,
Qui pense quoi ? – Inventaire subjectif des grands penseurs contemporains,
Ed. Bayard, mars 2012, 396 pages.

par Olivier Pascault




Depuis ma réception du dernier ouvrage d’André Guigot, je me suis promis de le chroniquer au fur et à mesure de ma lecture.
Chroniquer… Mieux vaut plutôt préciser que je le lis et étudie au gré de mes envies. C’est-à-dire que je lis ces portraits subjectifs selon quelques critères personnels : (a) lire des penseurs que je ne connais pas, peu ou mal ; (b) me reposer en lisant les portraits des penseurs qu’en suggère André que je connais, (c) puis continuer l’aventure qui consiste à découvrir qui l’on n’a pas encore lu.
Simplement, il convient de le signaler une fois de plus, un livre ouvre sur un tiers livre. Un livre ouvre toujours sur des pas, un rythme à la démarche, une respiration dans la marche autant sur le sentier escarpé des monts que la promenade dominicale dans des bois plats après un repas.
Plus encore, un livre offre la gestation de tout autre chose. Un livre appelle un autre livre, un texte, une sensation, une analyse. Un livre génère d’insoupçonnés horizons. Plus qu’un objet (la couverture, l’odeur du papier et sa texture sont bien entendu importants), le livre nous extirpe de nous-mêmes, nous permet la rencontre de personnages, de régions déjà connues et contrées inexplorées.
En soi, un livre est universel quand pour soi il est univers. Un univers, certes. Univers multiple, le livre développe un sens et nous en devenons l’ami dès lors qu’il nous plaît, nous entraîne, nous redonne la parole en tant que lecteur. De surcroît, il nous enveloppe de questions en tant que liseur, nous détache du bien particulier en tant que critique. André Guigot parvient, une nouvelle fois, à nous emporter, à inventer, à s’éventer dans des portraits en s’inventant tel qu’il est liseur des penseurs qu’il propose à ses lecteurs.
L’art et le brio consommés du philosophe Guigot rejoignent sa motivation vieille comme ses années de lycées en Bretagne : enrichir sa propre liberté, partant de la responsabilité authentique de se mouvoir si l’altérité se libère elle-même. Avec lui, en lui ou hors de lui. Qu’importe le mouvement, qu’importe la fiole, l’exégète de Sartre qu’est André Guigot sait s’épanouir ailleurs et dépasser l’auteur des Cahiers pour une morale. Et là réside le mérite du gaillard. S’imprégner de ses lectures, les restituer, les analyser puis les expulser pour se rendre maître de soi-même, n’est-ce pas l’égrégore de l’homme pensant. Dans l’effort, que dis-je, par l’effort régulier.
Pas mal pour un marcheur, Monsieur Guigot…

*

Je me suis promis de ne pas écrire un texte « définitif » sur ce Qui pense quoi ? d’André. Ecrire un texte « définitif » est toujours la gageure infernale d’une forme d’immodestie chez le critique qui aboutit bien souvent à conserver de nombreux textes sur le disque dur de son ordinateur, ou des écrits et ratures sur ses cahiers au final inexploités. Et j’en suis. Je sais de quoi je parle en bon jardinier quand je ramasse mes récoltes, les étiquette, les passe en stérilisation pour mes conserves d’hiver.
Alors, c’est décidé, je vais me lancer dans l’écriture d’une chronique par sursauts, au fur et à mesure de mes lectures de Qui pense quoi ?
Ici, même. Sur L’Atelier du Serpent Vert.
Je prends soin de relever le pari qu’énonce André dans son plaidoyer pour une recherche libre et libérée de notre propre coercition intime, moulée qu’elle fut sans doute dans l’ordre du respect trop ténu pour les matières scripturaires de l’intellect en acte. Autrement dit, tout liseur né en milieu modeste place toujours trop haut le livre, le sacralise quasiment en fétiche, se ressentant quelquefois tel un intrus parmi la gente distinguée de la philosophie académique pourtant ruminante à bien des égards (nous viendrons dans une chronique suivante sur ce point que développe notre auteur, de manière sous-jacente, sur les coteries professionnelles du métier). Pour l’heure, encerclons la citadelle et portons le regard vers la cible.

*


André GUIGOT
André Guigot est un ami. Je ne saurais le cacher, bien au contraire.
Certes, il est un ami que j’ai plus lu que rencontré physiquement, notamment au mariage de mon complice Jean-Yves (son petit frère) ou à la suite de ses visites parisiennes et quelquefois par des conversations téléphoniques. Depuis le commencement de la revue L’Authenticiste, dans les années quatre-vingt-dix, André sous la direction de Jean-Yves aux manettes de ladite revue, n’a jamais abaissé l’exigence de profondeur et sérieux de ses travaux, dans le sens de la recherche initiale et continuée des frères Guigot : la pensée authentique marie exigence, révélation, résistance et partage.
Lui, André, en philosophe et essayiste, et Jean-Yves en poète et romancier.
Comme quoi, la fraternité entre ces deux-là a nourri les rêves et travaux depuis leurs rivalités d’enfants, jusqu’au dépoussiérage ultime des années matures.
Pour les coups de l’enfance, les petites baffes des jeux du cow-boy contre l’indien, le coup mérite la chandelle de s’intéresser sérieusement à cette fratrie Guigot… et je n’oublie pas l’autre frangin boulanger qui fait venir à son fournil plus que les villages voisins du Finistère. Car le pain est, par excellence, le brouet joyeux de la pitance serrée dans le tamis de l’espérance en la conception d’une œuvre.
Œuvre au blanc, œuvre au noir, la philosophie situe la poésie, et inversement. Nous ne sortirons jamais de ce truisme pourtant fondamentalement vrai : l’écrivain, le poète et le philosophe partagent avec le boulanger la formule de vie. A condition de le décider. A condition d’en sculpter la volition ultime. Sans esprit de sérieux… notez, sans cet esprit de cour et de sérieux qui sied si bellement aux chihuahuas d’attaques dressés dans les quartiers des belles personnes et dont les universités taillées dans la pierre de Bagneaux-sur-Loing rassemblent quelques propriétaires jaloux de leurs prérogatives sur leurs élèves et disciples qu’ils voudraient voir devenir de blancs bichons crinolés.
C’est ainsi, la philosophie comme la pensée et le penser n’occupent plus les magistères initialement réservés à leur dispense publique.

*

Ce jeu sur la fratrie paraîtra peut-être dérisoire à qui le verra pour tel. Nonobstant, il n’est jamais étranger au sens que prend l’existence qu’une responsabilité idoine de la fraternisation que nous entreprenons s’ébauche avec et contre soi, avec et contre l’autre et ce cheminement en et dans la pensée. Car penser, c’est être et devoir être avec tout ce que cette exigence suppose de morale, de responsabilité, de sanction et devenir authentique. A savoir ce que progresser veut dire : marcher sur tel ou tel sentier, dans tel quartier ou telle rue, faire tournoyer la méthode en fonction des besoins de ce qu’on lit-étudie ainsi que le pas adapté au parcours choisi avec la respiration fonctionnellement précise à l’effort.
Nous reviendrons, avec André Guigot, sur ce que le penser signifie et sur ce qu’est la pensée. Car il en définit consciencieusement les arcanes et le terme en sept points précis, singulièrement dans l’introduction de son livre et quelques-uns des premiers portraits que je viens de butiner.
Penser n’est pas nécessairement faire acte du penser. Penser n’est pas non plus une production de pensées. Or, la pensée fonde le penser qui se joue d’elle en s’attachant à la progression, l’instruction et la méthode conjointement mêlés. Pour l’exprimer d’une autre manière, la pensée reconnue comme telle, dans le cercle du penser, est conditionnée par une vertu dédaignée dans l’instruction : la liberté.
Or, la liberté est un point d’ordre. Elle est l’organon méthodique de la pierre brute devenant pierre polie. Le vent n’y suffit pas. En effet, la progression repose sur la compréhension d’un fait, durable ou éphémère, qui n’est jamais un fait négligeable dans la connaissance de soi, d’elle-même en autoréflexion et surtout dans la reconnaissance de tous les outils indispensables : lire, écrire, compter. Etayons notre propos.
Le philosophe devenu psychanalyste J.-B. Pontalis, qui fut un élève de Sartre lors de sa très courte période de professeur de philosophie au Havre, se souvient-il de ce que le maître à bésicles faisait copier dans son cours sur la morale en 1941 : « Le jugement de fait porte sur ce qui est, le jugement de valeur porte sur ce qui doit être ». Cette donne kantienne au fondement de la métaphysique criticiste du philosophe amoureux des Lumières françaises, Immanuel Kant, retrouve l’histoire. En 1941, la France est vaincue. Elle est envahie de l’extérieur par les Allemands, et en même temps envahie de l’intérieur par la morbidité politique du pétainisme dont les fondements s’imposèrent dans le brassage idéologique de l’après traité de Versailles signé en juin 1919. C’est un fait. Un fait brut de politique historique. En face, le jugement de valeur porte quant à lui sur ce qui doit être et enseigne ce que nul ne doit, ce que nul ne peut ignorer : poser un genou à terre devant ce fait est un crime de lèse-pensée.
Appel à la liberté autant qu’appel à résister, lire, écrire, compter et penser, pour aller dans le sens d’André Guigot, restera toujours la vertu cardinale de qui entend livrer l’entame d’un chemin, pour un inventaire subjectif des penseurs contemporains qui servent le penser, qui donnent à penser avec ou contre eux. Ceux qui réduisent la pesanteur du « monde servile de la consommation ».
Faire un bout de chemin avec eux, voilà qui est bien. Voilà qui revient à ne pas partir seul en randonnée sans sac et gourde sous l’orage qui gronde en ces temps d’avant-guerre qui caractérise notre seconde décennie des années 2000.
Virtu du tireur-liseur : la cible à l'oeil
Mais qui ? Avec qui ? Qui sont les accompagnateurs qu’André Guigot nous offre en partage ?
J’y reviendrai au moment opportun.

*

Revenons à l’idée concrète d’amitié.
J’ai appelé l’amitié parce que passer du temps avec un auteur, quel qu’il soit surtout si l’on rêve en tant qu’acte, s’instruit ou analyse, se détend ou s’informe, c’est faire un bout de chemin avec lui. Et rêver l’amitié est le rêve de l’amitié en actes concrets.
Car l’auteur, toujours lui, nous tient la main quand en retour nous lui caressons la page.
Ne négligeons jamais le rêve dans le sursaut de liberté-résistance contre l’oppression du temps sans pensées visibles, sinon celles qui triomphent au fronton des batailles électorales et politiques.
Avec André Guigot, penser libère à seule fin de conquérir pas à pas notre liberté essentielle. J’allais écrire « essentialiste ». D’essence de la liberté, je le mentionnais, il y a la résistance au sillon du fait qui voudrait nous voir creuser une « réalité » criarde.
Un livre nous ouvre dès lors sur la liberté, sans prétendre in vitro nous faire pencher dans le seul fait pour commencer. En va-t-il du rêve généré ou de la capacité de rêver ?
Entendons-nous bien, cette geste ne relève certainement pas du même mouvement.
La capacité de rêver était la priorité du psychanalyste anglais Winnicott, quand Freud portait ses études sur le rêve lui-même. Reste que la capacité de rêver n’est en rien la vue productiviste du rêve dont nous n’avons que faire, mais recouvre la liberté incontestable, la liberté en elle-même, la liberté de rêver sans nous arrimer à la réalité. Par nos rêves, nous sommes en capacité de transformer la réalité, capable de transformer le fait de la réalité (la factualité).
Or, il n’est pas anodin que la stratégie de la domination des sbires du capitalisme est de tendre à nous interdire de rêver. Gaston Bachelard nous instruisait déjà de cela il y a cinquante ans et invitait tout à chacun voulant vivre librement à lutter et user de son « droit de rêver ».
La société policée nous veut aujourd’hui bien plus soumis qu’hier, soumis à une factualité politique et économique capitaliste que l’on nous présente comme indépassable. Quitte à nous dicter une quasi-mobilisation générale en faveur de l’acceptation, de la « fin de l’histoire », de la « réalité des chiffres » de la croissance, du PIB ou des courbes du chômage en Europe continentale.
Qu’est-ce qui est indépassable ?
Certes, le sprint sur cent mètres en moins de six secondes semble impossible à réaliser.
En matière économique et politique, le possible d’une transformation organique et structurelle de régime existe à condition de l’œuvre collective de la démocratie dans une société qui serait authentiquement libérale. Ita est dans son sens politique et juridique.
On nous rétorque, dans un beau leitmotiv de caniche : « On ne peut pas faire autrement ».
C’est faire peu de cas de la volonté, de cet ordonnancement naturel généré par la capacité de rêver, de la rêver comme volonté proprement insufflée en prenant pied avec la réalité, au besoin par le recours à des penseurs tournés vers l’émancipation et une analyse concrète fondées dans les études préalables. Ce qui compte alors, pour le choix notre penseur utile, tient lieu dans sa pertinence à faire muter la capacité de rêver en capacité d’agir (la volition).
Justement, le Qui pense quoi ? d’André Guigot et les auteurs qu’il nous propose de lire, en se gardant de les présenter comme étant les seuls, participe hautement à ce train de déambulation salutaire à la vie : les penseurs sont des guides et non pas des chiens pour aveugles ; ou ne devraient pas le devenir en se transformant en petits maîtres nous faisant advenir canidés.
Les penseurs doivent servir. Nous achetons ou empruntons leurs livres, servons-nous donc d’eux comme nous nous servons d’un bon coutelas pour découper les plis postaux, les vieilles pages des livres anciens, le saucisson et les fougères qui barreraient notre sentier.
Sachons nous servir, en toute liberté, de ces penseurs pour aller voir ailleurs, pour embrasser d’autres pensées, pour développer les nôtres, sachant que penser n’est pas le seul apanage des philosophes, mais aussi d’écrivains, de poètes, d’historiens, d’anthropologues, de juristes, etc. Ceux, précisément, qui prêchent la méthode, le court-circuitage des chemins balisés par des portraits déifiés, puis l’ouverture au monde de la pensée libérée, libre et féconde pour re-naître en résistance à la naturalité de l’apathie humaine.
L’honneur des penseurs, scandons-le ainsi et sans vergogne, allie humilité et humanité, recherche libre et travail authentique de clairvoyances, anticipations et bienfaits pour l’homme. L’honneur n’habite jamais le lieu d’animation des coteries où l’on professe ex cathedra en prenant les élèves pour des cornus stupidement aliénés par la note à obtenir en fin de semestre.
La vertu d’André Guigot est de nous répéter qu’il n’est pas indispensable de prendre nécessairement des références communes, qu’il n’est pas recommandé de fonder une armée de penseurs à lire impérativement en omettant les autres. Avec le naturel de l’évidence du bon sens, il nous dit qu’il s’agit toujours de choix et sélections subjectifs, et que l’on ne saurait vouloir perdre du temps en lisant inutilement ce à quoi notre liberté de liseur ne nous a pas conviée.
Prosaïquement dit, si un livre ou son auteur m’ennuie, je le mets de côté, le reprendrai plus tard. Ou jamais. Car l’existence est courte. Je peux mourir demain et, face aux bibliothèques, la modestie n’est pas de vouloir tout embrasser.
Ne nous révèle-t-on pas bien souvent, dans les cours, conférences et salons qu’untel doit être lu sous peine d’ignorance crasse à ne pas le faire. Aïe, quels sentiments fugaces de défiance en soi et de honte curieuse apparaissent soudain devant le cador prononçant l’invective !
Ce sentiment nous a tous un jour parcouru l’échine.
Nous eûmes pu céder à notre tour à ce chantage affectif à vouloir imiter ces cadors.
Eh bien, André Guigot nous donne la clef d’une libération à la stricte obédience de la liberté de lire ou ne pas lire untel, du moment que bien lire, avec méthode, nous entraîne au penser du monde et de soi. Il le note avec justesse : qui a enterré un ami, un enfant ou un parent sait que le temps est compté et qu’il n’est plus question après le deuil de le perdre. Le livre, le choix du penseur dominent notre quête de survie dans la pérégrination pédestre, créatrice, intellectuelle et culturelle.
Ceci étant traité, il existe des conditions à la marche. L’équipement rudimentaire composé de bonnes chaussures à semelle Vibram, un bâton, un sac confortable et une carte est aussi suffisant que les vieux maîtres qui forgent la pensée, les arcanes du vouloir penser. Ces penseurs sont ceux qui permirent la passe de trois entre la remise universelle de définitions conceptuelles, d’une heuristique et d’un savoir historico-philosophique pour se sentir à l’aise sur n’importe quelle voie du monde.
Personnellement, je placerais Aristote, Platon, Montaigne, Goethe, Hegel, Marx, Nietzsche, Lukacs, Bakhtine, Simmel, Castoriadis et Jaccard à mon Panthéon subjectif. J’ajouterais les Camus, Daumal, Zola, Maupassant, de Roux et Bernanos. Les frères Guigot partagent ces hommes-balises.
Question de choix ? Non, ce sont ceux que je fréquente le mieux. Pour le coup, il me manque Sartre et quelques-uns de ceux qu’André portraiture à loisir. Je remarque en passant qu’aux côtés de Sartre, Heidegger, Nietzsche et Kant, l’ami Guigot est entouré de vivants. Etrangement, je fais partie de ceux dont les morts sont plus nombreux. Jean-Yves, le petit frère d’André, me le rappelait un soir. Non pas que je délaisse les vivants, mais pour moi qui ai suivi les séminaires de Castoriadis, un Lukacs, un Franquin, un Uderzo ou un Maupassant savent vibrer en moi tels les bons vivants à se diluer dans mes tripes et neurones de viveur.

*

Vivant parmi les vivants (tiens, compère lecteur alangui qui a poursuivi jusque-là mon premier bout d’essai sur le dernier Guigot), il est temps pour moi de mentionner la présence d’André dans ma bibliothèque parmi d’autres, dont la pudeur, ou plutôt l’exercice de cette chronique; m’interdit pour l’heure d’évoquer. Il n’est pas le seul. Mais il est de ceux dont on pourrait scander en chanson populaire, « Il est des nôtres, il est formidable ».
D’autant plus si l’on reste fidèle à le suivre en lisant la plupart de ses livres, articles, ses essais et études, depuis Sartre et l’existentialisme (Essential Milan, 2000), Marx face à l’histoire (ibidem, 2002), Sartre, liberté et histoire (Vrin, 2007 – lire l’utile compte-rendu d’Alexis Filipucci : http://www.ges-sartre.fr/pdf/cr-guigot.pdf), Le Sens de la responsabilité (L’Harmattan, 2009) et le très utile et pragmatique La sagesse des jours (Milan, 2006). Plus quelques autres.

*

Pour ces temps-ci, ce sera donc Qui pense quoi ?
Le printemps commence sous les meilleurs auspices climatiques.
Un petit vent d’Ouest, en somme, du côté de Fontenay-le-Comte et sa Miss Boudin blanc annuelle, ce personnage régalien et récurrent du livre, au même titre que la tristesse miséricordieuse d’une salle des profs où l’antalgie surpasse, hélas !, le frisson.
Livre de chevet, d’avant sieste ou d’avant nuit, pas forcément. Qui pense quoi ? devient une lecture parcimonieuse au gré du simple bonheur de lecture.
J’ai ainsi décidé de commettre quelques petits textes sur ce Guigot-là. Pourquoi ? Parce que j’en ai simplement le désir. Sans me triturer la plume ou le clavier à devoir absolument fournir une étude critique fouillée ou, à défaut, plus légère. Le poids de la soif n’est pas la pesanteur. Le désir inspire. Il permet de corriger, biffer ou améliorer. Ecrire, quoi ! L’essentiel du travail intellectuel devrait toujours ravir et libérer les avancées et reculs, parler taille de la plume et froissement des pages, pages encornées et positions du liseur létal.
Ravir sert à se faire plaisir dans et pour le travail.
Ravir, c’est encore passer le relais, donner à lire ou donner l’envie de découvrir ce que moi j’ai l’habitude de fréquenter et ne désirant pas le conserver jalousement pour moi.
Ravir, enfin, c’est aussi généreusement remercier André Guigot d’accompagner quelques réflexions, méditations et travaux personnels depuis des années.
Par quels moyens ? Le proposer à d’autres lecteurs. Le proposer à L’Atelier du Serpent Vert afin que, par les hasards de la toile (the web), certains volontaires croiseront André sur les moteurs de recherche.

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A. Guigot en travail

Avant de poursuivre la présente chronique, il est temps de situer in extenso le contenu de Qui pense quoi ? – Inventaire subjectif des grands penseurs contemporains. Dans ce dessein, rien de mieux que de livrer le sommaire de l’essai.

  • Introduction : Qui pense ?

  • Les jardiniers.
- Emmanuel Jaffelin
- Björn Larsson

  • Les féministes.
- Judith Buttler
- Elisabeth Badinter

  • Les nouveaux moralistes.
- Ruwen Ogien
- Luc Ferry
- Alain Finkielkraut
- Michel Onfray

  • Les naturalistes.
- Bruce Albert, Davi Kopenawa
- Stéphane Ferret
- Kathleen Dean Moore
- Philippe Descola

  • Les penseurs venus d’ailleurs.
- Satish Kumar
- François Chenet, Michel Hulin, Lakshmi Kapani

  • Les nouveaux métaphysiciens.
- Henri Atlan, Ilya Prigogine
- David Armstrong, Emmanuelle Garcia, David K. Lewis, Frederic Nef
- Michel Bitbol
- David Chalmers, Hilary Putman

  • Les vulgarisateurs.
- Albert Jacquard
- Jean-Marie Pelt


  • Les radicaux libres.
- Giorgio Agamben
- Ian Morris
- Jacques Rancière
- Joseph E. Stiglitz
- Emmanuel Todd
- Guayatri Spivak
- Ernesto Laclau, Henri Guénoun
- Jacques Généreux

  • Les penseurs de l’animalité.
- Joëlle Proust
- Jocelyne Porcher
- Elisabeth de Fontenay

  • Les grands architectes.
- André Stanguennec
- Edgar Morin
- Peter Sloterdijk
- Alain Badiou

  • Les penseurs du Cercle herméneutique.
- Georges Charbonneau, Jérôme Porée, Jean Luc Almaric, Jean-Marie Legrand, Herbert Holl, Franca Madioni,Donatella Di Cesare, Bruno Verrecchia, Christian Berner, Dominique Pringuey, Jean-Claude Gens, Philippe Cabestan, Salvatore Giammusso



  • Les nouveaux esthètes.
- Philippe Beck
- Avital Ronell

  • Conclusion : Chacun sa route…

*

A lire ce sommaire, il paraît évident qu’une lecture continue ne s’impose pas. Comme Le dictionnaire philosophique de Voltaire (1764), au lecteur est laissé le loisir de se pencher sur un article sans ordre prédéfini. Là encore, André Guigot nous conte l’histoire de ce qui va de soi à chacun, la liberté recouvrée. Patience & à suivre…

Olivier Pascault