mardi 20 décembre 2011

Article 8 / Disettes, famines, révoltes pour le pain IN "le Dictionnaire universel du pain" (1/2)

Article "Disettes, famines et révoltes pour le pain en France" -
Dictionnaire universel du pain,
ss. la dir. de JP de T.,
Ed. Robert Laffont, coll. "Bouquins", automne 2010, pp. 306-308)

Olivier Pascault




Disettes, famines et révoltes pour le pain en France.

Des variations climatiques aux crises historiques que sont guerres, disettes et famines engendrent réactions, colères, troubles sociaux et révolutions modernes. Sous l’Ancien Régime, les famines sont liées aux difficultés nées des grandes guerres. Mais pour l’essentiel, elles sont engendrées par des conditions météorologiques défavorables au développement et aux récoltes des grains, depuis les semailles jusqu’à la moisson : pluies excessives, grands hivers. Et inversement, échaudage et sécheresse, l’un et l’autre étant la conséquence notamment des canicules. Les troubles et mouvements sociaux qui s’en suivent sont évidemment politiques ou strictement socio-politiques, au sens plein et dramatique du terme. Ces périodes de cherté excessive des subsistances, cherté du pain quotidien, accroissent notoirement le mécontentement plébéien ambiant et jettent de l’huile sur le feu révolutionnaire ou simplement contestataire qui, bien souvent, couve. Ainsi les mauvaises récoltes de 1788 précipitent une dynamique déjà à l’œuvre, qui aboutit aux événements de 1789. De 1827 à 1832, la cherté du pain accompagne les Trois Glorieuses et détermine une crise institutionnelle radicale. L’année 1846 est marquée par la conjonction chaleur-sécheresse, exécrable pour la production céréalière. Autant de facteurs qui accroissent les tensions et conduisent à de la Révolution de 1848. Au plan météorologique, trois grands acteurs déterminent essentiellement l’adversité du climat sur les mauvaises récoltes. Il y a d’abord les dépressions venues de l’Atlantique, porteuses éventuellement de précipitations excessives et scélérates pour les moissons. Ainsi ce fut le cas en 1315, en 1692, en 1816. En second lieu les très grands hivers, nés des incursions d’air arctique, donc de l’anticyclone d’origine scandinave, génèrent des crises agricoles graves, comme celles de 1709 ou 1956. Enfin les canicules estivales dérivent d’un expansionnisme considérable de l’anticyclone des Açores sur nos territoires ouest et centre-européens avec effet négatif sur les rendements des céréales.

Dépressions venues de l’Atlantique.


Les perturbations surtout printanières et estivales venues en trop grand nombre de l’Ouest, donc de l’espace océanique, les ciels mouillés, les soleils brouillés, pourrissent les moissons sous l’excès des pluies. Elles produisent à l’âge médiéval ou moderne de simples disettes ou de vraies famines par déficit des récoltes de blé, celui-ci devenant détrempé, en germes ou en gerbes. Ce fait a conditionné les célèbres famines de 1314-1316 en Europe occidentale et centrale. Les historiens médiévistes s’accordent pour en voir la raison de la fin du Moyen Age gothique. Années trop humides, pluies incessantes, mauvaises moissons déterminent des vagues de mortalités. Les épisodes  à fortes pluies d’étés ne manquent pas au cours de la longue période qui va de l’an 1315 jusqu’à la fin du petit âge glaciaire, que l’on situe vers 1860. Surtout en France, la grande famine de 1693 est une catastrophe préparée par des abats d’eau incessants dès l’été et l’automne 1692. Son bilan est dramatique : famine et épidémies s’ensuivent causant la mort de 1.300 000 sur une population française de quelques 20 millions de personnes (1693-1694). Plus tard, l’épisode de 1740 se caractérise par quatre saisons froides, dont trois saisons très pluvieuses provoquant, là encore, une disette importante. L’année 1816 fut une année sans été, sans récoltes. Sur toute la planète les poussières ont encombré le ciel à la suite de l’énorme explosion du volcan indonésien de Tambora l’année précédente. Par ailleurs, l’excès des pluies pendant plusieurs années, de 1648 à 1650 et de 1827 à 1831, a généré une incroyable cherté du pain, fomentant la première Fronde (1648-1650) ; puis la révolution de 1830.

Incursions d’air arctique.


L’hiver de 1709 reste le plus terrible que l’Europe ait connu en cinq cents ans. Il a déclenché la famine par destruction des blés en herbe en raison du gel. Les semis gelaient en terre. Le manque à gagner de la production des grains a provoqué, par ricochets, 600.000 morts en France. Les morts le furent de froid, le plus souvent de faim et à cause des épidémies collatérales (typhus, dysenteries, fièvres) que provoque la sous-alimentation excessive. Un peu plus tard, le grand hiver de 1829-30 porte préjudice aux semis des céréales et contribue ainsi à la cherté des subsistances lors des prodromes de la révolution, essentiellement politique, de juillet 1830.

Expansionnisme de l’anticyclone des Açores.


A côté des grandes incursions d’air arctique, l’anticyclone des Açores est lui-même responsable de crises alimentaires engendrant des mortalités importantes. Ainsi furent les années 1420, 1719, 1788, 1811, 1846. Les conséquences de ces canicules semblent plus graves sous l’Ancien Régime en raison des conjonctions entre climat et donne économique, surtout avant 1860. Le petit âge glaciaire était encore dans toute sa force jusqu’à 1860 précisément, mais n’empêchait pas des étés chauds, voire caniculaires, notamment au XVIIIe siècle, période où s’effectua un assez remarquable réchauffement estival entre fraîches décennies 1690-1700 et 1812-1820. Les spécialistes distinguent deux types de traumatismes caniculaires. Le premier type se caractérise par les mauvaises moissons. La mortalité due aux maladies infectieuses touche les enfants du fait de la pollution microbienne dans les nappes phréatiques et les rivières ainsi que les grains touchés par les microbes et bactéries. Les dégâts sur le système digestif des enfants et des adultes sont considérables. La toxicose a marqué les chauds étés du XVIIIe siècle. Ainsi la France compta, en 1719, 450.000 morts supplémentaires dus à la dysenterie caniculaire ainsi qu’à d’autres infections. Ce fut une mortalité sans disette. Quant à la disette proprement dite, avec ou sans mortalité, ou disette céréalière, elle est provoquée par l’échaudage et la sécheresse. Elles détruisent les céréales et poussent aux révoltes des peuples face à des autorités publiques incapables de gérer des stocks de grains soumis à la pression du marché. La famine francilienne de 1420, dans le bassin parisien, a été effectivement provoquée par un été brûlant la même année. L’été très chaud de 1556, avec des incendies de forêt et cultures céréalières jusqu’en Normandie, est un autre exemple de crise. Ces dates cruciales coïncident avec les dates des révoltes ou révolution telles que 1788, 1846. L’année 1788 constitue à cet égard, si l’on peut dire, une sorte de modèle. L’automne 1787 se caractérise par de fortes pluies éprouvant les semailles automnales. Au cours d’une année 1788 assez uniformément chaude, l’été débute avec des moissons qui grillent sur pied. Les récoltes de céréales sont maigres. Puis les intempéries de l’été 1788, avec grêle, orage, averses et une sorte de temps de mousson, humide et chaud, finit d’abattre les épis ou les fait verser. La récolte de 1788 est alors diminuée d’un tiers, les prix du blé montent en flèche, les émeutes de subsistance sont dans la rue jusqu’au 13 juillet 1789. Notons qu’il n’y a pas de mortalité supplémentaire en 1788-1789 : l’effet contestataire est immense, l’effet sur la mortalité est très mince.


En 1846, tout l’hémisphère Nord est plus ou moins affecté par un épisode chaud et sec. Sous Louis-Philippe, et même lors de sa chute, les conséquences vont se révéler considérables : baisse d’un tiers du rendement des moissons, conjuguée à la raréfaction des pommes de terre, celle-ci déterminée par les spores du fungus infestans venus des Etats-Unis jusqu’en Irlande et sur le continent européen. La mauvaise moisson de 1846 entraîne une cherté du pain, ainsi que des mortalités déclenchées notamment par la médiation des épidémies collatérales. Lesquelles se développent sur la misère physiologique des populations pauvres, endémiquement sous-alimentées de fait. La concentration par ailleurs du pouvoir d’achat en 1846-1847 sur le pain, lui-même devenu trop cher, accroît une mévente du textile qui génère un chômage ouvrier. Mécontentement social et révoltes débouchent sur un mouvement populaire fait en février 1848 et la Révolution qui proclame « Droit au pain, droit au travail » dans l’enceinte du Sénat où se tiennent les dirigeants insurgés.

Dans un tout autre contexte, celui du XXe siècle et des étés caniculaires comme celui de l’année 1947, les causes habituelles des mauvaises révoltes se trouvent semble-t-il désormais majorées par les mécanismes complexes désignés par l’expression « effet de serre », comme au cours des années 1976, 2003 et 2006. Les manifestations dangereuses de cet anticyclone açorien nous sont devenues familières depuis désormais quelques années, et pas seulement en France : les mauvaises récoltes céréalières des pays du Sud provoquent disettes, cherté et révoltes du pain, notamment sur les continents africain et asiatique en 2007 et 2008.


Olivier Pascault















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